jeudi 11 avril 2024

NOUVEL EXTRAIT

 

INTRODUCTION

LUMIERE style douche au centre de la scène

Frank Sinatra est devant son micro.  Il regarde face public

Sinatra : Puissiez-vous vivre jusqu’à cent ans et que la dernière voix que vous entendiez soit la mienne.

Les premières mesures de NEW-YORK, NEW-YORK se font entendre[1].

Tandis qu’il chante, les lumières de fond de scène s’allument peu à peu.

On découvre à jardin en fond de scène, accoudés à une table haute, Dean Martin et Sammy Davis Jr.

A cour en fond de scène, une autre table haute où sont accoudés Peter Lawford et Nancy Sinatra.

Une petite femme, derrière un petit comptoir en fond de scène, sert des verres et les apporte aux tables, c’est la mère de Sinatra : Dolly.

 A la fin de la chanson, tout le monde applaudit. Sauf Dolly qui lève les yeux au ciel.

 

PREMIER COUPLET

(Sinatra, Dolly, Nancy, Peter, Dean et Sammy)

 

Dolly quitte son bar et vient rejoindre son fils. Elle entreprend de démonter le micro de son support.

Dolly : C’est bon…Tu as bien chanté, allez maintenant, zou, tu quittes la scène et tu vas me ranger ta chambre.

Sinatra : Maman ! Enfin !

Dolly : Enfin quoi ? Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevé. Je peux encore te mettre une dérouillée, mon petit gars. (Elle range le micro à jardin) Alors, tu files dans ta chambre, tu me vires ces bouteilles et ces mégots de cigarettes et au trot !

Sinatra : …mais le public ?

Dolly : Le public ? Il ne va pas s’envoler. Ma main en revanche, elle est sur la rampe de lancement.

 Frank capitule avec un sourire et embrasse doucement sa mère sur la joue. Il passe à coté des autres pour gagner un rideau en fond de scène.

 Sinatra : Vous ! Pas un mot, les mecs !

Dean : Je n’ai rien vu.

Sammy : Je n’ai rien entendu.

Sinatra : Ouais, c’est ça…. (A Dolly) Maman, fais moi plaisir, vires-moi aussi ces deux lascars avant qu’ils ne vident tout ton bar.

 

Il sort. Dolly s’approche des deux hommes.

 

Dolly : Va falloir payer les gars, la maison ne fait pas crédit.

Dean : Désolé, je suis à sec, Dolly. (Se tournant vers son complice) Et toi, Sammy ?

Sammy : J’ai bien peur d’avoir tout laissé à la table de black-jack au….

Dolly : Sammy… Le casino n’accepte pas les négros.

Sammy : (Implorant) Dolly ! Ne m’appelez pas comme ça….

Dolly : Rien à cirer de ta couleur, Sammy. Tu serais chinetoque, ce serait pareil. Je sais que le casino n’accepte pas les négros donc j’en conclus que  tu as tout dépensé chez les putes. Je me trompe ?

Sammy : (avouant d’un air désolé) Non.

Dolly : Alors, vous dégagez. Et vous pourrez consommer de nouveau dès que vous aurez payé vos dettes.

Dean : Dolly…attendez. Et si…si on chantait nous aussi ?

Sammy : Oui, on chante nous aussi. Un petit récital et…

Dean : …et on n’en parle plus. D’accord ?

 Elle les regarde tour à tour puis sourit.

Dolly : Dean, tu es un joli cœur de première… Sammy, tu es un chanteur et un danseur de claquettes incomparable (Un temps) Partez tranquilles, je tiens à jour votre ardoise.

Dean : (Implorant à son tour) Dolly !

Sammy : Un dernier verre ! Juste un !

Dolly : Et je vous rappelle en passant que j’ai un flingue sous le comptoir.

 

Peter Lawford
Les deux hommes capitulent et sortent vers le fond de scène comme Sinatra. Nancy Sinatra et Peter Lawford éclatent de rire. Dolly ramasse les verres des deux hommes et va les  nettoyer sans les regarder.

Nancy Sinatra

 

 

 

 

 

 

 

Nancy : Elle était comme ça, grand-mère Dolly.

Peter : Oui, un sacré personnage, je me souviens d’elle. Ton père disait souvent qu’il tenait son sale caractère de sa mère.

Nancy : Elle nous faisait bien rire.

Peter : Elle en morte dans cet accident d’avion…C’était quand ? En 1976 ?

Nancy : En 1977. Nous étions anéantis. Papa était anéanti. J’ai cru qu’il ne s’en remettrait jamais.

Ils se regardent un peu tristement.

 Peter : (changeant de sujet) Nancy, tu te souviens quand Dolly nous racontait l’enfance de ton père ?

Nancy : Oui. Elle se délectait de le mettre mal à l’aise devant ses amis.

Dolly se déplace pour essuyer une petite table à jardin avant scène. Elle parle en partie face public et en partie pour elle-même.

 Dolly : Mon gringalet de fils. Pas loin de cinq kilos à la naissance. Il ne voulait pas sortir le marmot. Le médecin y a été aux forceps, il lui a arraché l’oreille, la joue et le cou…Si, si, regardez-bien il a encore ses cicatrices. Né un 12 décembre 1915, on a cru que le petit Francis Albert Sinatra était mort né. Le médecin, le premier. C’est ma propre mère qui lui a fait lâcher son premier cri en lui passant une douche froide.  Il a failli louper son entrée, le marmot… Ça ne s’est guère arrangé en grandissant. Une fois en descendant les escaliers de la maison, il a loupé une marche. J’ai eu tellement peur que je lui ai mis une volée…il n’a plus jamais loupé de marche. (Un temps). C’était moi qui mettais les raclées quand il était gamin. Son père, Marty, était plus calme, il n’avait pas besoin de hausser le ton, un seul regard suffisait quand Frankie faisait des bêtises. On adorait notre gamin mais il était fils unique…On ne voulait pas qu’il tourne mal. On habitait Hoboken dans le New-Jersey, ça ne rigolait pas dans ce temps là.

 Nancy et Peter se déplacent et s’installent sur le petit canapé en bord de scène à cour.

 Peter : Oui. Ça ne rigolait pas dans ce temps-là.

Nancy : Tu sais, Peter…avec le Rat Pack, tu as connu papa au sommet de sa gloire et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Dolly ne le prenait pas au sérieux dans sa carrière de chanteur, il a beaucoup travaillé, chanté dans des petits bars, quelques fois juste pour un repas, quelques paquets de cigarettes, parfois pour rien. Il faisait ses classes, comme il disait, il se perfectionnait.

 Dolly s’est déplacée à la table haute qu’occupaient auparavant Nancy et Peterpour la nettoyer.

 Dolly : Et puis le jour, où j’ai entendu mon fils passer dans l’émission de radio-crochet «  Major Bowes Amateur Tour » en 1935, je me suis dit que finalement tout cela allait peut-être devenir sérieux. Je me moquais de lui en prenant une voix de crécelle quand il chantait sous la douche mais ce petit con avait quelque chose d’inimitable. Ça, même avec la plus mauvaise foi du monde, je ne pouvais pas le nier.

 Elle vient nettoyer la petite table devant le fauteuil sans les regarder.

 Nancy : Elle gardait toujours des photos de papa quand il était petit pour les montrer à ses invités.

Peter : (Riant) Oui, mon Dieu, je m’en souviens.

Dolly : (S’adressant enfin à lui après avoir sorti des photos de sa poche) Mr Lawford !  Regardez celle-ci !

Peter : Encore une, Dolly ?

Dolly : C’est  lors de sa première communion. Il avait sept ans. Regardez-le dans son petit costume avec cet énorme nœud papillon. On dirait un petit Lord. Il était déjà mignon comme un cœur. Oh ! Et celle-ci, il avait huit ans. Avec son petit chapeau.

Peter : On dirait un gangster en culottes-courtes.

 Ils rient tous. Et réagissent comme dans un souvenir, sans tenir compte du fait qu’ils évoquaient sa mort quelques secondes auparavant.

Dolly : J’ai retrouvé celle-ci. Ma préférée. Vingt-deux ans. Frankie, photographié par la police de Bergen dans le New-Jersey le 27 novembre 1938. Matricule 42799.

Nancy : Non ? Ce n’est pas vrai ! Fais-voir !

Peter : (Riant) Déjà ivre à cet âge là ?

Dolly : Non. Mon Frankie ne faisait rien comme les autres. Arrêté pour  «Séduction sous la promesse de mariage d’une célibataire de bonne réputation » (Les autres rient) Relâché sous caution mais j’ai dû intervenir auprès de deux ou trois personnes que je connaissais.

 Elle s’éloigne en rangeant ses photos.

 Nancy : Dolly fréquentait les milieux.

Peter : Les ?

Nancy : Oui. Les milieux politiques, mafieux et policiers. Elle s’était même mise en  tête de devenir maire de Hoboken, à une époque.

 Dolly est dans ses pensées. Elle regarde Nancy et Peter puis face public. Elle semble soudain triste.

 Dolly : Mon petit Frankie…. Si jeune et l’idée du mariage lui semblait très concevable et pourtant quand il l’a fait, quand il s’est marié… Ah ! L’imbécile ! Au lieu d’aimer la femme qu’il avait épousée, il lui arrivait de courir après les autres. Quel idiot ! C’est bien les hommes, ça….Enfin, pas tous…Mon Marty ne m’a jamais fait ça. Je l’aurais buté…. Bon je vous laisse, je vais me reposer….oui…me reposer.

 Elle quitte la scène d’une démarche lasse, soudain très fatiguée.



[1] Le comédien peut faire soit du play-back, soit chanter les standards qui défileront au fil de la pièce, s’il possède les capacités.

PREMIER RETOUR DE LECTURE

PREMIER RETOUR DE LECTURE

Philippe PINEAU- Comédien

Je viens de terminer la lecture de la pièce "Sinatra, il était une voix". Superbe, j'adore !! Il ne faut pas hésiter à "rentrer" dedans, dans le décor dans l'époque, dans l'imaginaire de l'auteur, et ne pas hésiter non plus a se programmer les chansons indiquées à coté, et les écouter en temps réels, dans la lecture...un pur plaisir, quand on n'aime "the Voice".
Merci.